Cap à l’ouest vers la plage de Nilaveli

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Les cafards

Le train de nuit pour Trincomalee était à l’heure, nous montions à bord de la voiture couchette en première classe et nous découvrions avec horreur la cabine où nous allions passer la nuit. A l’intérieur, des murs et des plafonds en contre-plaqué bleu totalement défraichis, sur lesquels il y avait des traces d’humidité, de rouille et même de moisissures. Deux cabines partageaient une salle d’eau dans laquelle nous n’avons même pas oser entrer tant il y avait de crasse sur le sol. Deux couchettes escamotables en simili velours vert, d’un demi mètre de largeur, feraient office de lit pour la nuit.

cabine train sri lanka

couchette train sri lanka

Le train roulait depuis maintenant une demi-heure et les lumières n’arrêtaient pas de couper. Comme il n’y avait pas de vitres aux fenêtres, le bruit de la machinerie à l’intérieur du compartiment était insupportable. C’est à ce moment là qu’un cafard fit son apparition. Mouvement de panique dans la cabine, surtout que l’insecte n’était visiblement pas seul. Au fur et à mesure du trajet, d’autres sortirent de tout les recoins de la cabine, le train en était infesté.

Le train faisait un bruit infernal et le conducteur actionnait la sirène à tout bout de champ. Dans chaque ville traversée, des vendeurs ambulants faisaient des annonces à tue-tête sur le quais. Le train s’arrêtait, repartait, faisait marche arrière, dans un fracas inssuportable de ferraille.

J’étais appuyé sur mon bagage, mes yeux commençaient à être lourds, je relâchai ma vigilance un instant. « Attention ! Derrière toi ! ». Je me retournai en poussant un cri, deux cafards avaient entrepris l’ascension de mon sac et voulaient maintenant escalader ma tête en commençant par l’oreille droite. Nous ne dormîmes presque pas cette nuit-là.

Il était environ quatre heures et demi lorsque le train amorça la descente vers Trincomalee. Il faisait encore nuit noire lorsque nous sortîmes de la gare. Nous suivions le flot des voyageurs en direction de la ville, quelques minutes plus tard nous déchantions. Il n’y avait rien ici, pas une lumière, pas un commerce, seule une petite salle de prière était ouverte à cette heure. Nous marchâmes un moment dans une rue sombre en terre battue, où seul un bajaj faisait des aller-retours. La rue était déserte, elle me parut soudain angoissante. Qu’allions nous faire maintenant ? Personne à arrêter pour demander notre chemin. Aucun hôtel, ni aucune pension dans ce coin. Nous étions perdus, incapables de nous repérer sur le plan fourni par le guide de voyage. Nous dûmes nous résoudre à arrêter le triporteur qui nous conduisit vers un premier hôtel. Fermé ! Ce fut le même scénario dans tout les autres établissements de la ville.

En tuk tuk jusqu’à la plage déserte

Peu avant l’aube, le chauffeur nous déposa devant la pension d’une de ses connaissances. Brice descendit pour visiter un bungalow, accompagné du patron. Il revint moins de deux minutes plus tard. Le lieu était sordide. Nous commencions à perdre patience. Nous décidions de nous débrouiller seul et continuions à pied, vers l’autre extrémité de la plage. Les négociations avec les chauffeurs de triporteurs étaient souvent compliquées. Ils feignaient chaque fois de ne pas connaître les endroits recherchés, ou prétextaient n’importe quelle excuse pour nous emmener ailleurs. « L’hôtel n’existe plus ! », « Il est fermé ! », « Je ne connais pas le chemin ! »,…

lever de soleil uppuveli

Nous avons dû marcher le long de la route sur quelques kilomètres, avant de rejoindre la plage. Mes jambes commençaient à chanceler et je sentais de plus en plus le poids de mon sac sur les épaules. Un troupeau de vaches avait envahi la route juste devant nous. Nous cherchions un établissement appelé le Coconut Lodge, qui avait visiblement disparu de la carte. Il était presque sept heures, le soleil se levait lentement sur l’océan, il commençait à faire vraiment chaud.

Vers neuf heures, attablés sur la terrasse du French Garden Regish, nous prenions le petit déjeuner en attendant un bungalow qui devait se libérer dans la matinée. Le patron de l’hôtel pressait une touriste chinoise à partir. Elle nous fit signe avec un grand sourire pour nous indiquer que la chambre était top. Nous observions la scène avec un certain malaise, mais la jeune fille semblait s’accommoder de la situation. Dans la chambre, nous nous étalâmes sur le lit, épuisés. Quelques minutes plus tard, nous dormions.

Le réveil fut particulièrement difficile, nous n’eûmes pas le courage de faire quoi que ce soit. Du coup, nous lézardâmes un moment dans la piscine du Sea Lotus, deux bassins ovales entourés d’une plage de pavés ocres, une dizaines de cocotiers, la mer à quelques mètres. Parfaite photographie pour une agence de voyage. Les chaises longues en plastique avaient jaunies à force d’attendre les clients qui ne venaient pas. Seuls sur la plage, seuls à barboter, seuls dans la salle du restaurant lorsque, plus tôt dans la journée, nous avions déjeuner d’un curry. Nous fûmes bientôt rejoints par deux touristes indiens qui mirent enfin un peu de vie dans cet hôtel qui paraissait abandonné, boudé des voyageurs, comme à l’arrêt.

PLAGE UPPUVELI

L’homme et le tilak

J’abandonnai Brice et longeai la plage jusqu’à une lagune au nord, dans laquelle naviguaient quelques barques à moteur. Plusieurs familles de pêcheurs s’étaient établies à cet endroit, dans de petites maisons de briques construites au bord de l’eau. Je souhaitai rejoindre un temple hindou qui dépassait des arbres plus haut sur la plage, mais un bras de mer en empêchait l’accès. Un vieil homme m’observait depuis l’autre rive alors que je cherchais un chemin ou un pont plus loin sur la lagune. Il se mit à me faire de grands signes. Je voyais ses lèvres bouger, mais la forte houle et le vent empêchait le son de sa voix d’arriver jusqu’à moi. Il semblait me montrer le chemin à emprunter, mais la direction qu’il m’indiquait descendait dans la mer. Je compris après plusieurs minutes qu’il était possible de traverser à un endroit où la profondeur était faible, mais l’eau trouble de me permettait pas de voir le fond. Je décidai quand même de m’engager avec les encouragements du vieillard. La rive descendait en pente douce dans la mer si bien qu’à mi-chemin, j’avais de l’eau jusqu’aux mollets. Le courant était assez fort et me fit perdre l’équilibre. Je me retrouvai soudain avec de l’eau jusqu’à la taille. Devant moi , l’homme faisait de grands mouvement de bras et me criait de me déplacer sur ma gauche. J’arrivai finalement sur l’autre rive sans autre encombre que d’avoir le pantalon trempé d’eau de mer.

tilak au kovil uppuveli

KOVIL UPPUVELI

En faisant le tour d’un rocher qui surplombait la l’eau, l’homme me mena jusqu’à un petit kovil très coloré qui donnait face à la mer. Il était orné de bas reliefs bleu pâle, représentants des couples d’éléphants donnant à manger à leur petit. La porte principale était entourée d’une fresque en mosaïque jaune et rose. La grille était close car la puja n’aurait pas lieu avant quelques heures. L’homme me conduit devant une amphore contenant de la chaux et du curcuma, les ingrédients pour le tilak, qu’il m’appliqua sur le front. Je ne compris pas trop pourquoi il faisait tout cela, jusqu’à ce qu’il me fasse comprendre que la vie de pêcheur était rude et qu’il s’improvisait parfois guide pour gagner un peu plus d’argent. Après que je lui ai laissé vingt roupies pour la visite, il me proposa un safari en bateau sur la lagune. Je réussis à lui fausser compagnie, en l’assurant de revenir le lendemain pour la balade.

Le soir, nous nous rendîmes au Chaya Blue, un complexe de luxe rétro chic qui occupait tout le nord de la plage. Plusieurs piscines et de nombreux salons, dans un bâtiment à l’architecture majestueuse dans le style des grands palais indiens. Nous dinâmes au Crabe, un des restaurants situés sur la plage.

Un boy et des pigeons

Le samedi, nous prenions la direction de la plage de Nilaveli, une autre plage à cinq kilomètres plus au nord. Nous atterrîmes dans une petite guest-house au bord de l’eau, juste à côté d’un camp militaire qui coupait la plage en deux. L’établissement était quasi vide, seule une famille occupait une autre chambre. L’endroit était tenu par un vieillard du coin qui nous raconta comment, après le tsunami, il avait reconstruit l’hôtel de ses mains. Il ne restait rien de sa maison d’origine, une grande partie de sa famille avait disparue, lui avait échapper à la catastrophe car il avait pu se réfugier dans les hauteurs.

Nous prîmes un verre sur la terrasse face à la mer, au moment où débutait la puja du soir dans un petit temple construit sur le sable, à cinquante mètres de nous. La cloche sonna d’abord plusieurs fois à peu près au moment où les familles arrivaient aux temples. Les gamins restaient à jouer sur la plage pendant que leur parents écoutaient la récitation des slokhas. La soirée fut animée, le patron avait réunis plusieurs de ses amis avec qui il passa la soirée à boire. Il vint nous voir le lendemain pour s’excuser du raffut de la veille, mais cela ne nous avait pas gêner. Il nous présenta son boy, un jeune homme élancé, d’environ un mètre quatre vingt à la corpulence massive. Il n’avait pas l’allure habituelle des hommes d’ici, qui étaient plutôt petits en taille et assez fin.

« N’hésitez pas, nous dit-il, si vous avez besoin de quoi que ce soit, demandez lui ! » Un peu comme à l’époque des colonies, cet homme était à notre entière disposition. Nous pouvions lui demander n’importe quel service, course en taxi, organisation d’activités,… Il était un peu l’homme à tout faire de la maison, au service des clients, capable d’effectuer de petits travaux d’entretien, réparant les véhicules, organisant des visites dans la région. Mais ce n’était pas dans nos habitudes de nous faire servir, nous préférions nous débrouiller seul.

ile aux pigeons sri lanka

A quelques encablures de la côte, on apercevait l’île aux Pigeons. Un îlot corallien de quelques centaines de mètres carré, classé parc naturel. On ne pouvait y accéder qu’après s’être acquitter d’un droit d’entrée élevé, après quoi on embarquait sur un petit bateau à moteur qu’il fallait louer en plus. Une fois sur l’unique plage de l’île, nous nous retrouvions seuls au monde sur le sable blanc. Dans l’eau, nous apercevions plusieurs dizaines de requins à pointe noire, qui nageaient à un ou deux mètres du rivage. Nous entrâmes dans l’eau avec une certaine appréhension même si nous savions que les squales étaient inoffensifs. Ils ne mangeaient que du plancton. Nous ne pûmes toutefois pas nager bien longtemps, la forte houle nous poussait constamment contre les rochers et l’eau était trouble. Il y avait, selon le guide du parc, un jardin de corail à dix mètres de la plage mais nous ne pûmes jamais l’atteindre. Nous regagnâmes la côte après quelques heures passées loin de tout, en solitaire sur une plage au milieu de l’océan. Impression très artificielle évidemment, mais ce n’était pas cela qui comptait. Je savais pertinemment que seuls des voyageurs se rendaient ici mais qu’importe, pour nous le moment était unique. C’était la première et peut-être la dernière fois que je voyais des requins d’aussi près.

Je ne me souvins pas de la dernière soirée passée à Nilaveli, sans doute avions nous diner d’un riz sauté puis pris un thé à l’entrée de notre chambre. Nous avions certainement passer du temps à converser puis à empaqueter soigneusement nos affaires, tout en tentant de gagner encore un peu de place en prévision de nos futurs achats.

A l’aube, nous rejoignîmes la gare en triporteur, pour attraper le train de six heures. Le chauffeur nous déposa sur le parking puis s’éloigna. Je vis alors l’homme à tout faire de la pension de Nilaveli se diriger vers lui. Il paraissait mécontent. Ils échangèrent quelques phrases et le chauffeur finit par lui glisser quelques billets dans la main avant de repartir. Certainement n’avait-il pas le droit de nous conduire jusqu’à la gare.

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