Mékong m’as tu menti ?

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« Si vous voulez découvrir la région, nous dit Tito, passez par mon cousin ! Personne mieux que lui ne connaît le delta du Mékong ! Il pourra certainement vous organiser quelque chose ! ». Rendez-vous est pris pour le soir même après le dîner. Le cousin nous attend à table, il a déjà sorti toutes ses cartes du coin et commence à nous tracer un itinéraire, deux jours, le premier en bateau, l’autre à moto. Il nous emmènera dans des endroits que les touristes ne visitent pas nous promet-il, le tout pour quatre-vingt dollars par personne après négociation. Beaucoup trop cher, mais bon pourquoi pas essayer, nous verrons bien.

En bateau sur le fleuve

Le lendemain, on nous emmène jusqu’à un embarcadère, de l’autre côté de la nationale, assis à l’arrière d’un cyclo-remorque qui sert habituellement au transport des marchandises. Nous traversons Chaù Than dans l’effervescence des derniers jours précédents le Tèt. Le marché est plein de fleurs et de fruits, les scooters forment un bouchon devant les étals, la petite fanfare jaune déambule dans les rues de la ville pleine de femmes et d’enfants. Nous arrivons bientôt à l’embarcadère en passant par une petit fabrique de bonbons à la noix de coco. Conseil du cousin, traverser, regarder mais ne rien acheter. Nous prenons place dans une longue barque à moteur réservée juste pour nous. Bien installés dans des chaises en simili rotin beige, à l’abri sous l’auvent, nous découvrons le fleuve, immense et couleur bronze. Il est peut-être dix heures et je sens déjà le soleil qui me brûle lentement le bras. D’abord émerveillé, je suis du regard des petites barques de pêcheurs. Images tropicales d’une végétation luxuriante à perte de vue avec des petites cases au toit de palme perdues au milieu des cocotiers.

Cabanes de pêcheurs sur le Mekong
Cabanes de pêcheurs sur le Mékong

Nous naviguons depuis plus d’une heure sur un bras du Mékong qui déroule devant nous son large lit boueux. Les vagues tapent sur la coque du bateau comme le clapot de la mer. Nous découvrons l’immensité de ce fleuve qui strie toute la région de ses tentacules sanguinolentes, creusant la terre, la découpant en centaines d’îles et de canaux. Riche et nourricière la terre de ce delta que l’on surnomme grenier à riz mais qui n’a rien de cela. Loin d’être poussiéreux, le Mékong se transforme en une immense autoroute bardée de ponts à huit voies et de riches villes marchandes. On croise sampans, péniches et cargos qui redescendant le fleuve chargés de marchandises venues de toutes les campagnes alentours. Le Mékong étouffe dans la chaleur et la crasse, son eau est plastifiée et dégoulinante de détritus. Finit le temps du delta paisible et reculé qui fit tant divaguer les voyageurs du monde entier. Il n’y aura bientôt plus de place sur l’eau tant il y a de ces fermes flottantes, par dizaines, par centaines, qui pillent les eaux du fleuve avant de les polluer. Double peine pour le mythique Mékong, ravagé, écrasé, défiguré par la surexploitation et le tourisme à grande échelle.

Le village dans l’île

A l’heure du repas, le guide nous conduit au cœur d’un hameau sur l’île du Dragon, dans la petite case familiale où la Mama a préparé depuis le matin un véritable festin pour le déjeuner. Dans un semblant de salle à manger, un abris recouvert de taule avec un sol en terre battue, un coin cuisine crasseux fait de bric et de broc, une planche, quelques briques, un réchaud. Mama fait passer un à un les plats sur une petite table en bois pendant que les trois gamins nous auscultent de la tête au pied, puis courent dans les jupons de leur mère au moindre regard. L’homme de la maison, un gros monsieur bedonnant, se balance dans un hamac étendu au milieu de la pièce. Il n’a pas bougé le petit doigt depuis notre arrivée. Tout juste semble-t-il donner quelques consignes à sa femme sur la manière de se conduire avec des étrangers. Le plus grand des fils nous arrose de quelques tournées d’alcool de riz, à peu près à chaque fois que nous n’avons plus rien en bouche. J’avale rapidement un morceau de poisson pêché dans le Mékong qui trempe dans une sauce visqueuse dont je n’apprécie ni le goût ni l’odeur. Mama a l’air ravie. Il y a plusieurs plats de porc assez réussis que nous peinons à finir. Et comme à chaque fois, je retrouve ces morceaux de gras infâmes qui me donne envie de dégueuler à la première bouchée. Le seul moyen de les avaler étant de prendre une grande respiration, de mettre le morceau de gras en bouche et de l’aspirer d’un coup sec. Toute la famille nous regarde, sourire au lèvre, tellement content que nous soyons assis à leur table.

Le village dans l'île
Le village dans l’ile

Mais il y a quelque chose dans ce repas qui ne va pas, comme une impression de mise en scène qui donnera à coup sûr de superbes souvenirs à raconter une fois rentrés. « Imaginez vous seulement que nous avons été invité à déjeuner chez une famille sur les bords du Mékong ! Les pauvres n’avaient rien et pourtant ils nous ont accueillis comme des princes ! » Sauf que ce n’était pas tout à fait cela. J’avais la désagréable impression d’être conduit au zoo ou bien au cirque pour assister à un spectacle, une mise en scène des plus douteuses. « Eh ! Toi, là ! L’occidental ! Viens voir un peu comment ça se passe chez moi. Tu en voulais de l’authentique, en voilà un peu ! » Une famille heureuse, de beaux sourires et la joie d’un repas de tous les jours dans un foyer vietnamien. Pur moment de bonheur et de partage, inoubliable, instant unique à encadrer au-dessus de la cheminée.

Le gamin du Mékong

A la fin du repas, le guide nous suggère d’aller faire un tour à pied dans le hameau. Le temps pour lui de continuer à s’aviner avec le fils premier. Nous sommes suivis par le plus jeune garçon de la famille qui doit avoir autour des six ans. Il mesure à peine plus d’un mètre vingt. Il nous fixe avec ses petits yeux en amande. Nous nous arrêtons dans une petite boutique pour y acheter de l’eau. Le gamin est toujours là, à nous regarder en esquissant un sourire. Peut-être veut-il quelque chose. Je lui montre une canette de Pepsi, son visage s’illumine. Il fait un signe de la tête en guise d’acquiescement. Je lui donne la canette qu’il garde à la main. Il reprend la tête du cortège et nous entraîne en promenade, sans un mot, se contentant de nous indiquer la direction à suivre en pointant son doigt vers l’avant. Il se retourne régulièrement pour s’assurer que nous sommes toujours là. Alors que nous empruntons un petit chemin qui file vers des habitations, il accoure et s’interpose en secouant la main, à la mode des vietnamiens quand ils veulent dire non. Nous rebroussons chemin. Nous sommes bientôt rejoints par une petite troupe de gamines, sûrement attirées par l’éventualité d’obtenir une canette de soda. Nous regagnons la maisonnette familiale après une heure de ballade. Sur le chemin du retour, nous croisons encore un karaoké d’où les hommes accourent à notre passage pour nous inviter à boire un verre.

Au fil du fleuve Mekong
Au fil du fleuve Mekong

Mascarade sur les bords du fleuve

Dernière étape de cette ballade sur le Mékong, l’île de la Licorne, au large de My Tho. Ce n’est en fait qu’un petit village dédié entièrement au tourisme, entouré d’une vingtaine d’embarcadères où l’on dépose du matin au soir les croisiéristes du fleuve. Nous traversons une paillote où l’on vend de l’artisanat local pour arriver au bord d’un petit canal. Nous embarquons pour un tour en barque au milieu des cocotiers. On insiste pour que nous payions en plus un pourboire au batelier. La promenade dure à peine plus de cinq minutes montre en main et déjà nous rentrons au Chalet Suisse. Il est tout juste quinze heures.

Sur les quarante cinq dollars que j’ai payé pour cette mascarade, combien le cousin destine-il à notre guide et à sa famille ? Je me suis bien gardé de poser la question mais j’imagine que c’est une broutille, tout juste de quoi manger dans les jours qui viennent. Nous nous sommes bien fait avoir finalement. Bien sûr le cousin avait conçu le tour rien que pour nous. Aller voir ce que les autres touristes ne voient pas ? Tu parles, foutaise. Tout ce qui l’intéresse, c’est d’empocher un maximum de dongs pour faire tourner la boutique. Mais visiblement tout le monde ne le voit pas comme cela. Je ne sais pas, peut-être avons nous trop l’habitude de l’Asie pour croire encore à ces balivernes. Et pourtant nous sommes bel et bien tombés dans le panneau. Il faut dire que le type était persuasif et paraissait tellement sincère. Tant pis, on ne peut pas tirer la bonne carte à chaque fois !

Road trip dans le delta du Mékong >


 

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