Sur la route de Ben Tre
Un taxi nous emmène à la gare routière du sud, à sept kilomètres du centre de Saigon. Un vieux bâtiment complètement délabré où stationnent des dizaines de bus. Nous sommes perdus devant des comptoirs où personne ne vend de billets pour Ben Tre. On nous dirige vers le guichet numéro trois, peut-être le plus pourri de la gare. On a collé sur les vitres des feuillets format A4 sur lesquels sont écrits le nom des destinations. Deux bonnes femmes nous font signe et ont déjà déchiré et tamponné les billets avant même que nous ayons décidé de les acheter. Personne ne parle anglais, on nous fait juste des signes en répétant Ben Tre, Ben Tre, Ben Tre. Pas de bus Phuong Trang visiblement, nous prenons des billets à 60000 dongs, tant pis. Même galère dans une petite boutique, juste pour acheter une bouteille d’eau, impossible d’en avoir une fraîche, personne ne comprend rien. Quelques signes de la main, des onomatopées, une communication plus que basique.
Le petit bus est ancien et tout cabossé, un modèle vieux d’au moins vingt ans. Beige crasseux et tout étriqué, avec à peine assez de place entre les sièges pour glisser ses jambes. Les passagers nous observent avec un air vaguement intrigué, genre que font-ils là ceux-là. Départ quasi immédiat à travers la banlieue de Saigon dans une petite carlingue vibrante et tressautante qui s’arrête à tous les coins de rues pour charger passagers et marchandises. La route promet d’être longue. Les voilà soudain les fameux scooters dont on nous parlait tant, la route en est envahie, des centaines, des milliers peut-être. Et le bus qui fonce dans le tas à grand coup de klaxon et d’accélérateur. Bruit de plastique qui se brise sur la chaussée, un conducteur encore sonné est à terre au milieu d’une nuée de deux roues. Deux personnes s’arrêtent pour l’aider à se relever mais cela n’inquiète visiblement pas. Scène apparemment habituelle sur les routes du Vietnam. Saigon n’en finit plus de s’étaler, de s’étirer comme une gigantesque toile d’araignée, routes et ponts qui se croisent au milieu des immeubles que rapetissent à mesure que l’on approche de la campagne.
Nous enjambons enfin le Mékong par le pont à péage à la sortie de My Tho, pas vraiment magique comme paysage, plutôt industriel avec des bateaux cargos et des usines installées au bord du fleuve. Nous avons montré l’adresse du Chalet Suisse au chauffeur qui l’a à peine regardée, juste un mouvement de tête. Oui, peut-être a-t-il compris, on n’en sait rien. Brice aperçoit soudain un grand panneau indiquant Chalet Suisse, Motel, 500 mètres. Je me lève d’un bond pour prévenir le chauffeur qui se gare déjà le long de la voie, près de la station essence.
Le Chalet Suisse, un jardin au milieu des cocotiers et des bananiers, une allée fleurie d’œillets d’Espagne, un bateau en bois dans un bassin artificiel. Un chalet et deux maisons avec quelques chambres toutes simples. Oui mais voilà, la nationale 1, la route la plus fréquentée du Vietnam passe non loin de là. Pas tout à fait ce que nos amis nous avaient vendu. Enfin, ça fera l’affaire.
Une suissesse au Vietnam
Tito, une petite bonne femme d’un mètre cinquante nous accueille. Elle parle le français avec un curieux accent suisse. Elle a vécu à Genève durant trente deux ans puis a fini par rentrer, il y a trois ans, pour réaliser le rêve de sa vie, se faire construire un chalet en bois. Au Vietnam, parce-que bien entendu, en Suisse, elle n’aurait jamais pu. Tito est un curieux personnage, à l’air un peu mesquin avec un sourire menteur. Elle rit, d’un rire forcé, à chacune de nos blagues tout en roulant des yeux. Elle a deux petits chiens, hargneux qui choppent les mollets de la plupart des clients. Elle en transporte toujours un sous le bras, laissant ses pattes gigoter dans le vide. Elle porte toujours un chapeau de randonneur qui lui donne l’air d’une touriste sortant du bois.
« Comment allez vous aujourd’hui ? Qu’allez vous donc faire ? » Nous répète-elle à chaque fois qu’elle nous croise. J’ai beau la regarder dans tous les sens, je n’arrive pas à déceler chez cette femme une seule once de franchise. Tout sonne faux, le matin quand elle nous salue au petit déjeuner, à midi lorsqu’elle nous fait l’article de la Suisse et de son fromage, ou le soir quand elle nous sert une bouteille de vin de Dalat. Le vin blanc de Dalat, breuvage insignifiant à l’odeur de vin cuit mais dont le goût sur la langue disparaît aussi vite qu’un dessin sur le sable, une fois la vague passée. Mais nous sommes tellement heureux de pouvoir déguster du vin, si loin de chez nous, comme un dernier souvenir avant de se jeter dans le grand bain. Deuxième bouteille, du rouge cette fois-ci, avec la même odeur étrange de Porto et de noix, un goût légèrement plus corsé, estompé par la fraîcheur de la bouteille conservée au réfrigérateur. Par trente cinq degrés, pas vraiment d’autre choix.
Vietnam infernal
Nous sommes au Vietnam depuis seulement quelques jours et je crois que jamais les choses n’ont été si compliquées en Asie. Et pourtant, c’est déjà la quatrième fois. Le plus difficile c’est que personne ne cause en anglais. Ce soir nous avons décidé de manger à l’extérieur, sur les conseils de deux jeunes français, la cuisine du Chalet Suisse étant selon eux chère et pas excellente. Sur le bord de la nationale, nous nous avançons vers un petit stand, vide, un peu moins crasseux que les autres. Et encore. A peine installés qu’on nous a déjà servi un pho plein de gras de viande qui baigne dans un jus de légumes et de nouilles. Impossible à terminer, et c’est comme cela depuis trois jours. Pas une seule fois nous n’avons pu choisir le menu de notre repas. Nous achèterons encore quelques paquets de gâteaux. La bonne cuisine vietnamienne, ce n’est pas ici qu’on la trouvera visiblement.
Et puis il y a ce bruit incessant de circulation, de klaxon, de musique, de paroles. En cette période d’avant Tèt, l’effervescence du pays est encore plus exacerbée. Les karaokés, sport déjà national, marchent à plein régime du petit matin jusqu’à tard dans la nuit. Les campagnes de Ben Tre sont saisies d’une espèce de transe générale où l’on court encore et encore après fleurs, confiseries, cadeaux et autres victuailles. La route nationale est pleine à craquer de familles en scooter qui remontent vers les campagnes. Tout se vit, se crie, s’entend plus fort. Et avec la fatigue et la faim, c’est une espèce d’agression continuelle, lente et sournoise, qui vous pousse petit à petit à bout. Rien de bien méchant, juste une histoire d’adaptation, un vrai choc des cultures pour le coup. Et moi qui pensais en avoir vu suffisamment en Asie pour ne plus vivre cela. Mais c’est peut-être mieux ainsi, se sentir dépassé, ne pas comprendre, se sentir décalé plutôt que d’arriver en terrain conquis, de suivre juste un itinéraire tracé et aseptisé. C’est peut-être cela le voyage, mais je l’avais déjà oublié.
Mékong m’as-tu menti ? >
2 Comments
emile
17 juin 2015 @ 12:52
mmmhhh dis don ça fait pas rêver, je sais pas si j’ai bien fait de lire ton blog juste avant de partir !
Petits Voyageurs
17 juin 2015 @ 12:56
Les mésaventures font partie du voyage ! On ne tombe pas toujours juste ! Mais rassure toi, au final le Vietnam est un pays que j’ai vraiment apprécié ! Mais il y a de telles différences culturelles que l’adaptation a été rude !