En route pour Don Muang
La berline jaune et verte survole les buildings de Silom sur la bretelle qui mène vers la sortie de la ville. Vrai labyrinthe de béton qui s’enroule, sinueux comme un serpent qui étouffe encore plus la capitale du Siam. J’ai les yeux rivés sur le compteur du taxi pendant que Brice et Jocelyn recomptent encore une fois jusqu’à leurs dernières pièces, pourvu que l’aéroport ne soit plus trop loin. Deux cent cinquante trois baths, c’est exactement la somme qu’il nous reste pour payer le chauffeur, cinq cents mètres avant l’aérogare, le compteur indique déjà quelques baths de trop. Mais le type est plutôt sympa, pas comme ces rapaces de Khao San qui auraient sûrement exigé qu’on retire cash la monnaie, même pour un pauvre bath manquant.
Dans le hall de l’aérogare, nous réempaquetons nos bagages, faisant valser d’un sac à l’autre livres et trousses de toilettes pour ne pas dépasser le sacrosaint poids imposé par les compagnies low-cost. Beaucoup d’efforts pour pas grand chose, puisque l’hôtesse ne daignera même pas peser nos valises. L’avion décolle dans deux heures, le temps de fumer encore quelques cigarettes sur le trottoir.
A l’embarquement, la salle d’attente est déjà pleine, on attend sans un bruit, les yeux rivés sur le comptoir qui reste désespérément vide. Déjà quinze minutes de retard et toujours rien, pas une annonce, pas une information sur les écrans télévisés. L’avion pour Chennai embarque déjà alors qu’il est annoncé trente minutes après le nôtre. Les hôtesses sont camouflées dans un coin de la pièce, attendant des instructions qui ne viennent pas. Il y a ce type, un québecois, avec un sac gros comme une malle, qui déambule dans les allées, cherchant à peu près n’importe qui du regard. Il nous laisse son sac un moment puis revient. Impossible de me souvenir ce qu’il nous raconte, de toute façon avec son accent, je ne comprends rien. Oversize, supersize, un truc en -ize, c’est tout ce que je comprends quand il échange avec des agents au sol, étonnés par la taille de son paquetage. Et voilà enfin les portes qui s’ouvrent, l’embarquement commence sans un mot d’excuse, ni même un commentaire sur les raisons du retard de l’avion.
L’Airbus d’Air Asia est au deux tiers plein, en majorité des vietnamiens et quelques occidentaux dispersés ça et là. Les visages changent, ils sont plus sombres et les traits plus fermés. Les vietnamiens sont bruyants, discutant sans retenue et laissant brailler les bébés pendant que les hôtesses distribuent à toute vitesse les plats préparés de nouilles, commandés à l’avance sur internet. Il fait nuit noire depuis longtemps, à peine distingue-t-on par le hublot quelques points lumineux. Au-dessus du Cambodge, on n’aperçoit carrément plus rien, un pays entier plongé dans l’obscurité. L’appareil chahute un moment en traversant les nuages. Les lumières réapparaissent à l’approche de Saigon, capitale électrique du sud où scintillent à perte de vue de larges routes formant une gigantesque toile d’araignée. L’avion descend doucement en approchant du toit des immeubles, avant de se poser sur le tarmac de l’aéroport presque en pleine ville.
Soirée à Tao Dan
Pas grand monde au contrôle des visas, Jocelyn saute sur une jeune douanière tout juste installée dans sa guérite. Elle le regarde en rigolant. Une pure beauté cette femme, visage immaculé et peau lisse comme la surface d’un lac. Elle a une bouche et des yeux parfaits, en amande, que l’on croirait dessinés à l’encre de Chine. Son uniforme kaki lui donne l’apparence d’une figurine en cire, une poupée à la plastique de rêve. Le pur fantasme de l’homme solitaire qui rôde en Asie. Fascinante petite femme qui devrait être partout sauf ici, à tamponner et à vérifier les visas des étrangers.
A la station des taxis, on se bouscule dans un bordel général pour trouver une voiture. Nous laissons passer un homme qui pousse sa mère dans un fauteuil roulant, aussitôt suivi par une famille de huit personnes. Impossible de monter dans aucune voiture, elles sont prises d’assaut par des vietnamiens peu enclins à nous laisser la moindre chance d’y grimper. Les gens se ruent sur tous les taxis comme des animaux en rûte, nous bousculant sans vergogne. Pas même un regard de la part des chauffeurs ni des employés des sociétés de taxis, pourtant censés réguler le flux. Une femme nous voyant désemparés finit par s’avancer vers nous. Vinasun ? Yes please ! Voilà enfin une voiture.
Le taxi s’engouffre dans une large avenue à six voies, envahie de motos et de voitures klaxonnant plus qu’il n’en faut. Les trottoirs sont recouverts de kilomètres de chaussures attendant les pieds généreux qui voudront bien les porter. Suit un enchaînement infini d’immeubles qui se ressemblent tous, de temps en temps de grandes pagodes à étages en béton, des vitrines éclairées au néon. Des drapeaux vietnamiens sont accrochés à tous les réverbères et devant chaque maison. Étrange patriotisme presque outrageux surtout quand apparaissent d’autres drapeaux siglés de la faucille et du marteau, parfum d’un communisme bel et bien présent.
Le trafic devient de plus en plus dense même si la ville est normalement déserte à cause du Tèt. Saigon est immense et parcourue de larges avenues à la mode stalinienne, sobres et bien droites. Même trottoirs pavés que dans toutes les villes d’Asie, qui défilent à toute vitesse. Et des façades colorées d’immeubles tellement fins qu’ils paraissent avoir jeûné tout l’hiver. Nous voilà déjà à la porte du May Flower, hôtel aux allures de petit palace, bien trop luxueux, un standing qui n’a rien à voir avec le prix payé pour la chambre. Et pour cause, nous ne somme pas au bon endroit, l’hôtesse nous renvoie vers la porte d’à côté, au May Flower II. Nous retombons sur terre, ça n’a plus rien à voir cette fois-ci. Hall d’entrée étriqué, mur triste dans le couloir et l’escalier. Bonne surprise dans la chambre. Rien d’original, pas trop de cachet mais un lit immense et des meubles en acajou vernis. Petite séance photo dans les peignoirs en soie mis à disposition par l’hôtel avant de sortir pour trouver un endroit où dîner.
Il règne dans la ville la même chaleur étouffante qu’à Bangkok. Des odeurs aigres et épicées de soupes émanent de quelques stands de rue dans une atmosphère suffocante et carbonée, polluée aux gaz d’échappement. Au parc Tao Dan il y a encore de la lumière dans les guinguettes du nouvel An qui sont en train de plier bagage. Nous commandons des soupes et quatre Tiger dans l’un des derniers stands encore ouverts. On crie en vietnamien derrière le comptoir avant de s’affairer pour servir les étrangers retardataires.
Dans les allées du parc, des collections impressionnantes de bonsaïs de Saigon, à faire pâlir les bonsaïkas japonnais. Plus loin, des aquariums plein de poissons tropicaux, exposés dans des préfabriqués comme ceux des ménageries du cirque. Dans le fond du parc, une mise en scène ultra kitsch mettant la chèvre en vedette sous des projecteurs colorés. Bien étrange cérémonial à quelques jours de la nouvelle année. Mélange de tradition et de modernité à grand renfort de sponsoring. Mention spéciale pour la chèvre made in Tea Plus, façonnée à l’aide de fleurs aux couleurs de la marque, et digne des plus grands corsos fleuris.
Rendez-vous à la manufacture
J’ai dormi comme un bébé dans le lit double king size de la chambre 205. Tellement grand qu’on aurait pu passer la nuit à faire des longueurs sous les draps ou à y chercher un oreiller perdu au pied de son immense matelas. Dans le couloir, une bande de jeunes filles rigolent, je ne sais pas quelle heure il est, neuf heures peut-être. Rendez-vous au sous sol pour petit-déjeuner avant de sauter dans un taxi, direction The Refinery, où nous attend déjà Sylvain. The Refinery est un bistrot à la française fréquenté par les expatriés de Saigon. Il est installé dans les bâtiments de l’ancienne manufacture d’opium. Une salle de restaurant élégante à la façon des brasseries parisiennes. Un bar en bois sombre avec un comptoir en marbre, de grands miroirs en arcade, une belle collection de grands crus venus de France. Sylvain est assis à la table tout près de l’entrée, il boit un soda en pianotant sur son ordinateur portable. Il nous regarde d’un air étonné, ne s’attendant visiblement pas à nous voir débarquer à quatre. Il s’occupe avec Tifenn, une autre française, d’une agence de voyage basée à Saigon, qui crée des circuits personnalisés pour des clients francophones. Nous restons un bon moment à discuter du pays, des endroits à visiter et de ceux à éviter, de la difficulté à travailler ici ou des relations qu’ils entretiennent avec leur collaborateurs vietnamiens. Et c’est souvent toute une histoire dans laquelle la patience est visiblement le maître mot.
Tifenn et Sylvain nous proposent d’aller déjeuner. Ils nous emmènent dans une petite cantine qu’ils aiment bien, chez O Xuân près du marché Tân Dinh. Une adresse dans laquelle je n’aurais jamais mis les pieds tout seul, mais selon eux ça vaut vraiment le coup. Nous échangeons nos liasses d’euros dans une petite bijouterie que Tifenn connaît bien puis partons nous mettre à table. En entrée, on nous propose une mélange de petits raviolis à la pâte de riz. Je me bagarre avec l’un d’eux que je ne parviens pas à mâcher, j’essaie de rester discret mais je suis en train de m’étouffer, le truc est tellement visqueux qu’il reste coincé dans ma bouche. Heureusement personne ne se rend compte de rien. Nous commandons tous une salade Bo Bun au bœuf et aux vermicelles, pour terminer le repas. Il est déjà près de quatorze heures, le temps pour nous de rejoindre Miên Tây et d’attraper le bus pour Ben Tre.
La Viet Kieu de Ben Tre >
2 Comments
Vincent
22 mai 2017 @ 5:30
Bonjour je viens de lire 3/4 articles sur le Vietnam, il semblerait que vous n’ayez pas trop apprécié ce pays.
Que conseillez vous pour passer un agréable séjour dans le delta du Mékong?
Bien cordialement
Petits Voyageurs
29 mai 2017 @ 9:48
Bonjour Vincent. Contrairement aux apparences (notamment dans les premiers carnets), j’ai beaucoup apprécié mon voyage au Vietnam. Simplement, les premiers jours ont été compliqué et j’ai voulu en parler en détail dans mes articles. N’ayant visité que le région de Ben Tre dans le delta du Mékong, j’aurais du mal à véritablement vous conseiller quelque-chose pour votre voyage. La seule chose que je peux vous dire, c’est que la découverte de la région en scooter est vraiment géniale. Beaucoup mieux pour moi que les “croisières” en bateau… Merci pour votre commentaire et à bientôt !