Les premiers jours se passent souvent comme cela : je cherche quoi écrire et je ne trouve pas. Je n’ai pas encore réussi à tirer le fil, celui qui donnera du sens à mon carnet. Dans ma tête tout sonne creux ! Dans mon cerveau, les idées se bornent à une énumération de tableaux sans intérêt. Et plus je cherche à creuser, plus le récit que je me fais devient insipide. Je prends mon stylo que je fais lentement tourner entre mes doigts, puis je pointe la mine vers le haut de la page, mais rien.
Et pourtant, tous mes sens sont en éveil, mes yeux ne savent plus où regarder tant il y a de choses à voir. A chaque coin de rue, les odeurs et les couleurs me réveillent. La lumière est différente, les bruits aussi, tout me paraît neuf et pourtant je ne sais pas quoi écrire. Je suis perdu dans une ville qui m’est pourtant familière, j’ai déjà marché dans ces rues, regarder cette maison, là, au bord du fleuve. Déjà pris ce bateau qui file vers le quartier des temples. Déjà bu un verre dans ce bar près de Khao San. Mais pourtant j’ai l’impression de ne rien reconnaître. Me voici enfin de retour à Bangkok, 5 ans après. De retour dans cette ville qui m’avait tant fait rêver, celle de mon premier voyage en Asie, loin de chez moi. Je retrouve des quartiers connus, des sensations, des souvenirs, des odeurs surtout. Parfums d’épices mêlés à l’huile qui émanent des cantines de rues. Ou bien odeurs infectes de décomposition qui me feraient presque vomir. Tout le contraste de cette ville qui attire et repousse, où l’on croise le pire et le meilleur en une seule seconde.
Je redécouvre Rambuttri Road avec presque le même plaisir que la première fois. Ses petites ruelles pavées, ses grands arbres, ses petites maisons en bois. Mais déjà quelque-chose est différent, l’ambiance un peu surfaite sûrement, et puis cette concentration de guesthouses et de bars remplis à craquer de voyageurs du monde entier. Tout cela sonne un peu faux, il y a trop de monde, trop de rabatteurs, trop de bruits aussi, surtout la nuit. Est-ce le quartier qui a changé, ou bien moi qui le regarde avec un œil neuf, après plusieurs voyages en Asie. En 2010, je n’avais aucun point de comparaison, j’arrivais vierge à Khao San Road, alors forcément j’en gardais un souvenir un peu magique.
Promenade matinale
Au petit matin, Khaosan retrouve enfin un peu de calme. Disparus les étals de souvenirs, les hommes qui essayent de vous refourguer un tour en bateau ou bien ces vieilles femmes grimées qui revendent bracelets et petites grenouilles porte-bonheur. Le quartier est traversé d’un immense réseau de ruelles étroites dans lesquelles il est facile de se perdre. Vers sept heures, je sens déjà les effluves de bouillons qui embaument l’air. Quelques mètres plus loin, dans une arrière boutique, des femmes débitent des plaques entières de pâtes de fruits qui seront découpées en petits cubes avant d’être vendues aux touristes dans la journée. Dans l’entrebâillement d’une porte, je surprends une vieille femme assise en tailleur devant son téléviseur, qui sursaute à mon passage.
En remontant vers le Monument de la Démocratie, il y a foule dans les nombreuses cantines de rues. On déguste en vitesse une soupe de nouilles au poulet ou des raviolis, avant d’attaquer la journée. Les trottoirs de Thanon Tanao sont encombrés de cartons plein de gâteaux et de pâtes de fruits pour le Nouvel An chinois. Le livreur les a déposés là sans même attendre l’ouverture des boutiques, visiblement personne n’y touchera.
En traversant le canal vers Thanon Lan Luang, je me retrouve dans le quartier des menuisiers, déjà en plein travail. Ils découpent à la machine d’énormes troncs arbres pour en faire des planches de bois qui deviendront ensuite des portes, des volets ou des armoires. Au coin de la rue, dans un petit restaurant de quartier, une femme fait sa prière devant l’autel sur lequel ont été savamment disposés des morceaux de poulets, des petites coupelles de riz et quelques fleurs. Plus haut, au carrefour de la rue Phra Sumen, de gigantesques portraits de la famille royale trônent sur un trottoir dans leurs cadres de bois sculptés et finement dorés.
Arnaque au coin de la rue
Comme souvent à Bangkok, un homme m’aborde spontanément en pleine rue. Après les politesses d’usage, il me raconte qu’il est professeur dans une école bouddhiste juste à côté d’ici. Tout en parlant, il m’indique la direction du temple de Ratchanadaram, en pleine rénovation. C’est aujourd’hui une journée très spéciale m’explique-t-il, celle de l’anniversaire de Bouddha. Je ne dois manquer cela sous aucun prétexte me dit-il. Cette histoire évidemment, je la connais déjà, on me l’a même servie un jour dans un français impeccable. Peu importe, j’écoute l’homme patiemment, sans broncher, en me contentant de sourire et d’acquiescer de quelques mouvements de tête. Aujourd’hui, les prix des tuk tuk sont exceptionnellement bas, c’est la journée idéale pour découvrir la ville. La veille encore, un vieil homme, professeur lui aussi (tiens donc!), me racontait un peu près le même histoire, mais lui trouvait l’excuse du Nouvel An Chinois pour me proposer une offre imbattable pour un tour en bateau sur les canaux. C’est une arnaque assez classique et très répandue à Bangkok, une arnaque très bien organisée par un réseau mafieux qui sévit dans toute la capitale thaïlandaise. Je vous conseille à ce sujet de regarder l’épisode de l’émission Arnaque moi si tu peux, consacré à Bangkok. Vous en apprendrez beaucoup sur les escroqueries existantes dans cette ville, et croyez moi elles sont nombreuses : escroquerie aux faux bijoux, excursions à prix soit disant exceptionnels, entraîneuses dans les bars, arnaques aux sentiments. Et les choses commencent toujours de la même manière, une rencontre à priori amicale, des conseils, une discussion sympathique pour vous amadouer et vous mettre en confiance, et hop l’affaire est dans le sac. En une seconde on peut mordre à l’hameçon. Un seul objectif évidemment, nous forcer à mettre la main au porte-monnaie. Quelques mètres plus loin, devant le temple Bowonniiwetwiharn, je tombe sur une note dactylographiée de la division du tourisme de la ville de Bangkok, qui informe les étrangers qu’il n’existe ni jour du Bouddha, ni attractions à prix réduits et met en garde les voyageurs contre les faux agents de voyage.
Achète, bois et mange à Khao San Road
Khaosan ne me fait plus du tout rêver, c’est même plutôt l’inverse. Traverser la rue devient juste impossible, surtout pendant le week-end où la foule est encore plus dense. Je n’en peux plus de tout ce bruit, du monde et des sollicitations permanentes. Passé neuf ou dix heures du matin, l’ambiance devient très vite pesante. Je veux juste traverser la rue pour aller prendre un café, mais je n’ai pas encore fait deux pas, que déjà un chauffeur de tuk tuk accoure en agitant sa pancarte Floating Market, déjà dix fois qu’il me propose et je lui réponds encore non. Une fois installé, mon café commandé, c’est un autre bonhomme qui arrive, les bras chargés de lunettes de soleil, et c’est reparti. Tu en veux une paire ? Non je n’en veux pas ! Tu es sûr ? Allez, essaies en une ? Non toujours pas… Je voudrais juste prendre mon café tranquille en fait. Viens ensuite une femme qui veut me vendre des bracelets. Impossible de respirer un instant, juste rester cinq petites minutes tranquille. On crie dans tous les sens, les bars s’opposent dans une guéguerre sans fin pour attirer un maximum de clients à leur table.
A la nuit venue, de la musique se diffuse à plein volume dans tout le quartier, essentiellement de mauvaises reprises de pop music que tous les clients fredonnent en cœur. Bon, et bien non, en fait je ne comprends pas. Pourquoi partir si loin si c’est juste pour reproduire à l’identique ce que l’on a l’habitude de faire chez soi ? Pourquoi s’asseoir dans les mêmes bars en écoutant la même musique, tout en buvant toujours la même bière et en avalant un plat de pâtes à la bolognaise ou un hamburger ? Et tout cela dans cette rue qui finit par ressembler à n’importe quel autre endroit du monde. Je crois que cette fois-ci j’ai enfin compris, si je dois revenir à Bangkok, je ne choisirai pas Khaosan…
Fort heureusement, la capitale du Siam reste toujours aussi captivante. Et croyez moi, si l’on prend le temps d’y flâner et de s’y perdre, elle nous promet de belles surprises. En attendant les prochains articles de mon retour à Bangkok, vous pouvez consulter mon carnet de voyage sur la Thaïlande.
2 Comments
Aline
12 août 2015 @ 6:20
Question très intéressante : est-ce que la ville à changé ou est-ce moi qui est évolué? Selon ton récit, il semble que c’est toi qui n’a plus le même regard.
Nous avons ressenti exactement la même chose dans Khao San Road, pourquoi voyager si loin pour faire la même chose qu’à domicile. Je me sentais très mal à l’aise dans ce vacarme…
Par contre, je suis étonnée de l’arnaque concernant les tuk tuk, nous avons eu le même discours mais nous avons payé 20baths pour 2 personnes et il est resté avec nous 3h et nous a conduit dans plusieurs endroits. Nous avons trouvé le prix dérisoire comparé à ce qu’on nous proposait d’habitude…
Petits Voyageurs
12 août 2015 @ 7:32
J’ose espérer que tous les chauffeurs de tuk-tuk ne sont pas des arnaqueurs ! Il m’est arrivé de faire des courses en tuk-tuk dans Bangkok pour un prix correct, mais cela reste rare. Après il y a arnaque et arnaque. A partir du moment où le chauffeur te dépose devant une boutique ou bien devant ce qu’ils appellent “office du tourisme” (qui sont en fait des agences de voyages), ils perçoivent des commissions des commerçants, même chose pour les hôtels et même certains restaurants. Enfin bref, après ça fait parti du jeu !
Merci pour ton commentaire et à bientôt !